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Souvenirs
du
siège de Belfort
1870 - 1871

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1870 – 1871

Les notes que j'ai prises au siège de Belfort vont me permettre de rédiger un mémoire depuis mon incorporation, jusqu'au jour de ma libération en ne citant que ce dont j'ai été témoin et où j'ai assisté.

François-Joseph Thiault

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Notes et souvenirs du Siège de belfort
1870 – 1871

La Garde Nationale, Mobile, décrétée depuis le mois de Février 1869, comprenait tous les hommes valides de 21 à 25 ans, sans exception, étant né le 8 Mars 1845. J'en fis donc partie

Depuis cette époque à peu près on s'occupa de la formation des cadres soit depuis le grade de sous-lieutenant à celui de colonel. Notre région, c'est-à-dire le département de la Haute-Saône, forme le 5ème régiment provisoire composé de quatre bataillons:

1er bataillon
arrondissement de Gray
2ème bataillon
1ère circonscription de Lure: Lure, Héricourt, Champagney, Mélisey et Villersexel
3ème bataillon
2ème circonscription de Lure: Luxeuil, St-Loup, Faucogney, Vauvillers et Saulx
4ème bataillon:
Arrondissement de Vesoul

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La formation militaire à Vesoul

8 Août lien - Ce fut quinze jours après la déclaration de guerre, le 8 Août 1870, que la Garde Mobile fut appelée, ce jour-là je reçus ma feuille de route pour me rendre à Vesoul le 12 avant midi.

Un napoléon (côté face)Les derniers jours...

11 Août - Je partis le 11 à une heure de l'après-midi et j'y arrivai à 4 heures du soir, plusieurs mobiles m'y avaient devancé. Je les retrouve à l'hôtel du Lion d'Or.

Nous avons tous dîné assez joyeusement puis nous nous couchâmes de bonne heure, devant nous rendre au quartier de cavalerie le lendemain matin à 9 heures où nous devons être incorporés.

12 Août - De bon matin je me dirige du côté de la gare où doivent arriver successivement les mobiles du Département par des voies différentes. En effet dès les premiers trains c'est une véritable cohue et tous ces jeunes gens qui quittent leur famille sont pour la plupart joyeux et c'est en chantant qu'ils font leur entrée en Ville. Je me joins à ceux que je connaissais et après s'être sommairement réconfortés (il est 10 heures) nous entrons au quartier, nous attendons dans la cour que les officiers chargés de nous recevoir soient arrivés. 

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Ce qui n'a lieu qu'à une heure. Un Capitaine nous fait ranger par Bataillon et par Compagnie, puis on fait l'appel. Ceci terminé on nous conduit dans la caserne. Notre bataillon est logé dans les écuries du quartier n° 3. On nous distribue de la paille, nous mangeons pour la première fois la soupe du troupier et à 7 heures ½ nous nous couchons, les quartiers étant consignés.

Un napoléon (côté pile)...du troisième empire

13 Août lien - Le bruit du clairon nous réveille à 5 heures ½. Tout le monde debout, on a vite fait de s'habiller pour une bonne raison, c'est que nous ne nous étions pas déshabillés. On fait l'appel, ensuite nous allons quelques-uns chercher des vivres: boeuf, pain, légumes etc. D'autres préparent le feu et nettoient notre dortoir. A 9 heures nous mangeons la soupe, on procède ensuite à la formation des Cadres, depuis celui de caporal au grade d'adjudant, on habille ces derniers (car les simples moblots sont restés avec les effets qu'ils avaient apportés de chez eux, ce n'est que plus tard qu'ils ont reçu une vareuse et un pantalon assez légers).

14 Août lien - Réveil à 6 heures, la soupe à 9h ½ ensuite l'exercice: c'est assez risible aucun de nous n'en connaît le premier mot on nous fait marcher au pas, nous exécutons les mouvements de tête droite, tête gauche, les avant-marche etc. nous nous en tirons assez bien et dans la perspective de faire mieux le lendemain nous sommes satisfaits; pendant huit jours que nous resterons à Vesoul, rien de changé: exercices matin et soir et c'est tout.

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De Vesoul à Belfort

Pont de Bas-EvetteLe pont de Bas-Evette

20 Août lien - Nous devons nous tenir prêts pour 10 heures du matin, pour nous diriger sur Belfort; nous accueillons cette nouvelle avec enthousiasme. A 9 heures ½ nous sommes à la gare où un train en formation est là qui nous attend, à 10 heures nous montons dans les compartiments, le train s'ébranle et nous emporte aux cris répétés de « A Berlin ». Je puis dire que tous à peu près nous partons gaiement, quoique nous doutant bien que l'avenir nous réservait d'autres déboires, les nouvelles de la guerre n'étant pas très rassurantes.

Nous arrivons à Lure: arrêt d'une demi-heure, la population nous fait beaucoup d'accueil, on nous distribue toutes sortes de victuailles (vins, saucisson, liqueurs, café, etc.).

Nous nous remettons en route au bruit des chansons entre Bas-Evette et Belfort, un pénible accident nous attriste, un moblot du 1er bataillon étant monté sur l'impérial d'un wagon a le crâne fracassé par l'angle du pont de chemin de fer situé à l'endroit ci-dessus. L'alarme étant vite donnée le train stoppa; ne sachant ce qui se passe nous descendons la plupart et nous apercevons ce malheureux (première victime de la guerre parmi nous) qu'on rechargeait dans le fourgon, tous nous sommes consternés. Le train se remet en marche, il est midi, nous arrivons.

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Premiers jours à Belfort

Le Faubourg des AncêtresLe Faubourg des Ancêtres

Nous sommes conduits de suite par des sous-officiers du 84ème de ligne au quartier neuf Faubourg des Ancêtres, quartier de cavalerie, nous sommes logés dans les écuries, toujours avec de la paille on fait la soupe et toute la journée nous restons tranquillement.

21 Août lien - Réveil à 5h ½, on fait l'exercice de 6 heures à 8 heures; à 9 heures la soupe. De 10 heures à 11 heures théorie chez les sergents instructeurs pour les caporaux et sergents, repos jusqu'à 2 heures, exercice jusqu'à 4 heures, ensuite la soupe, théorie, appel à 8 heures puis extinction des feux à 9 heures. Nous trouvons ce genre de vie un peu monotone et la plupart envient le sort des troupes qui sont en face de l'ennemi. Les journaux nous annoncent de grandes batailles livrées à la frontière, nous gardons cependant bon espoir jusqu'au 27 Août rien de changé.

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28 Août lien - Nous allons tous à l'arsenal toucher des fusils dits "tabatière", des cartouches, sacs, etc. C'est une joie pour nous de possèder maintenant une arme avec tout l'accessoire; un sous-officier du 4ème de ligne nous apprend le démontage, le nettoyage du fusil et ce qu'il s'en suit.

caricature de Napoléon IIINapoléon III est capturé à Sedan le 4 Septembre

1er Septembre Je suis nommé de garde avec 4 hommes dans un poste au fort des Barres; c'est la première fois et c'est avec une certaine émotion que je reçois les mots d'ordre et de ralliement (Bosquet et Bordeaux) en défilant la parade. Je place un factionnaire à l'endroit désigné et d'heure en heure on en fait la relève, dans la nuit nous avons deux rondes chacun s'en tire assez bien. Tous les 4 jours nous prenons la garde sur un point ou sur un autre.

La fin de l'empire

4 Septembre lien - Les nouvelles du dehors ne sont pas rassurantes. Aux environs de Metz cela va mal, la capitulation de Sedan vient d'être affichée à l'hôtel de ville, cela n'est pas pour nous réjouir, malgré tout l'enthousiasme est grand ici et c'est au chant de la Marseillaise que sont acclamées les proclamations de la 3ème République et la chute de l'empire. Que nous réserve l'avenir ?

 

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8 Septembre lien - Notre Bataillon est conduit à la gare pour effectuer le transport en ville des provisions de toute sorte qui arrivent par le chemin de Fer. Farines, sucre, pain, vin, eau-de-vie, ainsi qu'une grande quantité d'obus, poudre, canons, fusils et autres munitions de guerre. Nous restons huit jours en affectation au transport, où une partie de la garnison y est employé. Ce n'est que le matin qu'a lieu cette corvée, l'après-midi étant consacrée à l'exercice.

Pendant tout le reste du mois, nous apprenons la théorie sur le service des grandes gardes et des reconnaissances le matin, et l'après-midi l'exercice, toujours, plus la garde tous les 3 jours.

Premières opérations

2 Octobre - Ma compagnie est de garde à Cravanche, nous y restons deux jours et les jours suivants nous allons en reconnaissance sur un point ou sur un autre. Phaffans, Vétrigne, Grosmagny , Bessoncourt etc., ces marches nous font beaucoup de bien.

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Une punition excessive

15 Octobre lien - Le clairon sonne à 8 heures du matin, aussitôt rangés et l'appel faits, notre bataillon se met en marche, par une pluie affreuse, nous traversons Pérouse et nous nous arrêtons aux Errues à 9 Km de Belfort, quatre ou cinq maisons à la bifurcation des routes de Fontaine à Dannemarie. A peine fait-il jour quand nous arrivons et pour comble de bonheur trempés jusqu'aux os, nous mettons les fusils en faisceaux et nous attendons, chacun se met en quête de trouver de quoi se sécher et quelque chose à se mettre sous la dent;

Pour ma part je prends sur moi de diriger mon escouade dans une maison à 100 mètres du camp, nous tombons dans un moulin où une excellente femme (après avoir parlementé) nous prépare une bonne soupe; à peine sommes-nous en devoir de la savourer que notre capitaine fait irruption dans la salle et nous fait faire demi-tour pour rejoindre le bataillon. Bien entendu nous abandonnons la soupe tout en remerciant généreusement la bonne meunière qui insistait pour que nous fassions honneur à sa cuisine. En arrivant nous trouvons les hommes pour la plupart couchés au pied des fusils en faisceaux,

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je croyais donc la situation bien plus grave, et m'attendais à une prise d'armes; mais comme, étant l'auteur principal de cette escapade, je me suis fait gratifier de huit jours de garde du camp, un sergent m'y conduit aussitôt; ceci se trouve au milieu d'une prairie à 2 km du camp. Dans la soirée quelques mobiles viennent m'y rejoindre, nous avons pu ainsi monter une tente pour nous mettre à l'abri. Nous y restons 3 jours et commencions par nous en lasser, quand sur l'ordre du Commandant on nous fait réintégrer nos compagnies car pour de telles peccadilles le motif n'en valait pas la peine.

Un pénible accident

17 Octobre - Nous marchons sur Fontaine, l'ennemi nous dit-on se trouve aux environs d'Altkirch et Dannemarie. Le jour suivant nous établissons notre camp à Lacollonge, près de Larivière. On établit la garde au milieu du bois pour surveiller les routes d'Altkirch et Dannemarie. Un pénible accident nous arrive. Au moment de la relève, la garde qui doit remplacer dépose les fusils au pied d'un arbre, et sans se douter qu'ils étaient chargés, un mobile descendant des factions met en joue un de ses camarades, manière de plaisanter et tue celui-ci (ordre nous était donné dans les postes avancés d'avoir les fusils chargés).

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Le pauvre moblot faisait peine à voir, et jetait des cris affreux. Il a fallu le ramener au camp de force et le surveiller, il voulait attenter à ses jours pour ne pas survivre à sa malveillance. Le lendemain nous sommes allés toute la Compagnie enterrer ce jeune homme à Saint-Germain il était originaire de Servance.

La garde de la poudrière du Valdieu

Le pont au ValdieuSous le pont, la poudrière ?

20 Octobre - Nous rentrons à Belfort, et le lendemain nous repartons pour Dannemarie. Cette fois en chemin de fer. Les Prussiens sont signalés dans les environs, on canonne déjà un bataillon du 84ème de Ligne, nous entendons dans le lointain le bruit de la canonnade du côté d'Altkirch.

22 Octobre lien - On détache de notre compagnie 20 hommes, 2 caporaux et un sergent à destination du Valdieu pour garder une poudrière qui se trouve sous la ligne du chemin de fer de Belfort à Mulhouse, et sur le canal du Rhône au Rhin. Je fais partie du détachement et après avoir reçu les instructions de nos chefs on se met en route. Nous arrivons à destination à 10 heures du matin, nous plaçons de suite nos factionnaires, puis nous installons notre poste chez le maire de l'endroit qui veut bien mettre à notre disposition sa grange, puis de la paille à profusion pour nous coucher. Tous les deux jours nous allons 2 hommes avec le sergent ou un caporal, chercher le mot d'ordre ainsi que les provisions à Dannemarie et rendre compte à nos chefs de ce qui se passe.

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Nous restons huit jours ainsi, sans être inquiétés. Le 8ème jour c'est-à-dire le 31 Octobre, il est 10 heures du soir, je viens de relever les factionnaires, à peine étais-je rentré que j'entends un qui-vive qui me fait sursauter, le factionnaire crie un mot d'ordre, et déjà tout le détachement est sur pied, croyant à une attaque. Nous sortons tous, fusils en main, et nous reconnaissons deux soldats du 84ème de ligne, porteurs d'une missive nous enjoignant de rentrer immédiatement à Dannemarie, en prenant toutes les précautions possibles, et de marcher par groupes de 5 ou 10 hommes, sans lumière et sans bruit, nos fusils chargés.

Retraite précipitée à Belfort

1er Novembre lien - Quel jour de Toussaint, il fait un temps épouvantable. La pluie et le vent font rage, après avoir réveillé le chef de la maison et l'avoir remercié de son hospitalité (il est une heure du matin), nous nous mettons en route par 8 groupes, la nuit est tellement noire et par cette tempête, nous ne parvenons pas à suivre un chemin et c'est à travers champs, au milieu des ravins ou dans l'eau jusqu'à mi-jambe, que nous arrivons à faire ce trajet (6 kilomètres) dans 4 heures.

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Viaduc de Dannemarie en 1870 Le viaduc de Dannemarie en 1870 agrandir

Ce n'est qu'à 5 heures du matin que nous apercevons les premières maisons de Dannemarie, on entend dans le lointain des coups de fusil et de canon, nous avons su que des engagements avaient eu lieu dans les environs. Nous voici à Dannemarie, notre groupe se compose de 6 hommes (les sergents en font partie), nous nous dirigeons du côté le mieux éclairé de la ville, c'est devant la mairie, nous apercevons un groupe d'officiers; après nous être faits connaître, ils nous demandent des nouvelles du détachement, nous ne pouvions les renseigner, lorsqu'au même instant tout le reste du détachement arrive aussi fourbu et n'en pouvant plus.

Viaduc de Dannemarie en 2008 Le viaduc de Dannemarie en 2008 agrandir

Nous entrons à la mairie où on nous fit prendre du café, et nous nous dirigeons à la gare, où un train nous attend pour la direction de Belfort. Il est 7 heures ½ du matin, toutes les troupes qui stationnaient à Dannemarie et les environs font partie de ce convoi. A peine roulons-nous depuis 5 minutes qu'un arrêt brusque vient suspendre la marche du train, croyant à une attaque on se précipite aux portières, il n'en est rien, on entend une forte détonation suivie d'un bruit sourd; on vient de faire sauter le viaduc du chemin de fer après y avoir passé, il était temps, les Prussiens en très grand nombre, entrent à Dannemarie,

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Plan simplifié de Belfort La situation militaire le 3 Novembre agrandir

quelques-uns même suivant la voie ferrée essaient quelques coups de feu sur notre train mais sans nous faire aucun mal. Nous voici à Belfort, il est grand temps. La consigne est de rester à la gare, les uns se couchent sur les banquettes, d'autres dans les salles d'attente en attendant des ordres. Ce n'est qu'à 10 heures que nous allons planter nos tentes au camp retranché du vallon. Nous sommes logés dans des baraquements en planches assez confortable, quarante par baraquement.

L'étau se resserre

2 novembre - Les Prussiens avancent en nombreuses colonnes autour de Belfort, le 1er Bataillon des mobiles de la Haute Saône a eu un engagement à Grosmagny, les pertes sont assez sensibles, l'ennemi est en nombre avec de l'artillerie les nôtres se sont retirés après un sérieux combat, c'est le premier engagement qui a eu lieu.

Monument de GrosmagnyMonument de Grosmagny agrandir

5 Novembre - La canonnade se fait entendre sur différents points, principalement du côté de Roppe, les batteries du Château se font entendre pour la 1ère fois, les nouvelles du dehors ne sont pas très bonnes et nous donnent la certitude que nous allons entrer dans un siège en règle. Heureusement que la place s'est approvisionnée pour résister longtemps, nous attendons les Prussiens de pied ferme.

10 Novembre - Mon bataillon s'attend à une prise d'armes ou à une forte reconnaissance, il est 9 heures du soir et nous recevons des cartouches, nos officiers s'assurent si tout est bien en ordre, on distribue au chef de chambrée des bougies et des allumettes pour qu'au premier coup de clairon tout le monde soit debout et réveille les hommes pour les faire sortir au 2ème coup de clairon.

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Des combats meurtriers

Batteries du fort de Belfort Les batteries du fort de Belfort

11 Novembre - A 4 heures du matin le 1er coup se fait entendre, j'allume les lumières, réveille les hommes, tout le monde est prêt quand retentit le 2ème coup, nous nous rangeons par compagnie devant les Baraquements. Les officiers passent une inspection, on fait l'appel, et le bataillon se met en marche avec tous les chefs commandant en tête. Nous arrivons à la porte du Vallon, et à peine avons-nous fait quelques cent mètres que déjà les Batteries du château commencent par se faire entendre. Une compagnie des mobiles du Rhône et une du 84ème de ligne nous escortent en arrière.

Le châteauLe château agrandir
Il est à présent jour, nous avançons lentement en avant du bois de Bessoncourt, lorsque des coups de fusil retentissent du côté de l'ennemi qui se trouve logé dans les bois. Nous ripostons et en un clin d'oeil la bataille se trouve engagée, notre commandant est tué d'une balle au front, les Prussiens sortent du bois en si grand nombre qu'ils nous obligent à battre en retraite (les forces de l'ennemi sont de 10000 hommes contre 1200), on tiraille, la panique est à son comble.

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Plan des fortifications La place forte de Belfort agrandir

Deux capitaines (Merbonne et Perret) sont hors de combat, l'un tué l'autre très grièvement blessé, l'ennemi profitant du désarroi s'acharne de plus belle sur nous en laissant dans nos rangs bon nombre de blessés et de morts. Chacun se retire un peu en débandade du côté de la place. C'est triste, les uns encore valides soutiennent un camarade, d'autres sont employés aux brancards, tout le monde s'emploie à diriger les blessés vers l'hôpital de l'Espérance.

Les survivants rentrent au camp où l'appel se fait immédiatement, on constate 93 hommes disparus dans le bataillon, tués ou prisonniers, cette journée fut néfaste pour nous.

15 Novembre - Nous partons tout le bataillon à la recherche des corps de notre commandant Lanoir et de nos capitaines Perret et Merbonne, les Prussiens nous les ramènent jusqu'à mi-chemin de Bessoncourt à Belfort. Les 3  cercueils sont mis sur des prolonges, le bataillon défile en présentant les armes et nous repartons sur Belfort non sans jeter un coup d'oeil aux officiers et soldats Prussiens qui faisaient partie de l'escorte, on avait deux heures d'armistice, à peine sommes-nous arrivés en ville que les bombardements recommencent de plus belle, des deux côtés nous allons enterrer ces braves officiers au cimetière des Forges, où nous leur adressons un dernier adieu.

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Tout près de l'ennemi

17 Novembre - Ma compagnie est de grande garde au faubourg des Vosges, il fait une pluie mêlée de neige et un vent très violent, il faut placer 17 factionnaires depuis l'extrémité du faubourg des Vosges jusqu'à un kilomètre du Valdoie, nous entendons causer les sentinelles prussiennes depuis nos factionnaires les plus avancés, la garde dure deux jours puis nous rentrons à Belfort.

20 Novembre - Ma compagnie est de nouveau désignée pour une reconnaissance au Valdoie où nous dit-on l'ennemi arrive tous les matins; nous partons à 4 heures, arrivés aux premières maisons la compagnie s'arrête et 10 hommes seulement avec un lieutenant, s'avancent en rasant les murs des maisons jusqu'au centre du village en attendant les Prussiens. Je fais partie des 10 hommes, nous attendons ainsi cachés 10 minutes à faire le guet quand nous apercevons 6 uhlans arriver à fond de train jusqu'aux premières maisons du Valdoie explorant la route mais ne la quittant plus, ils retournent bride aussi vite et s'en retournent comme ils étaient venus, il nous était facile d'en finir avec eux mais il nous était défendu de tirer sur eux et de faire le moindre mouvement [surtout] qu'en cas d'attaque il y avait à trois kilomètres du Valdoie dans les bois 10000 hommes. Nous étions allés pour savoir ce qui se passait et les uhlans jouaient le même rôle que nous, je crois. Nous faisons demi-tour et nous rentrons en ville, il est 9 heures du matin.

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Repli en désordre sur Belfort

Rue de BellevueLe quartier de Bellevue..

25 Novembre - Tout le bataillon se met en route pour Bellevue sur la route de Bavilliers, cette position se compose d'une sorte de bâtiment de culture et d'une ancienne tuilerie, nous arrivons à 5 heures du soir; dans la nuit on entend le canon du côté d'Essert et le Mont, nos grandes gardes constatent que ces tirs proviennent des tranchées établies par l'ennemi en avant de ces villages. Le jour suivant, les factionnaires constatent que les Prussiens se rapprochent de nous et depuis 8 heures du soir les obus tombent sur le bâtiment où nous sommes et nous y délogent, le feu éclate une heure après un peu partout; le bataillon sort et échange bien quelques coups de feu mais la canonnade ne cesse pas, nos chefs logent tous en ville et nous sommes sans commandement; nous nous replions sur Belfort un peu à la débandade, en regardant l'incendie. A 11 heures du soir nous sommes au faubourg de France, chacun cherche un abri où il peut car la neige tombe et il fait un froid vif,

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Le Faubourg de FranceLe Faubourg de France

pour ma part j'arrive devant une boulangerie où j'ai deux frères mobiles aussi qui travaillent comme employés pour la fabrication du pain de troupe. Je peux me coucher dans un lit, ce qui ne m'est pas arrivé depuis 3 mois. A peine suis-je endormi qu'un fracas épouvantable se fait entendre au dessus de moi (je suis au 4ème étage) suivi d'un éboulement de décombres de toutes sortes qui remplissent la chambre, il y en a jusque sur mon lit. Je me réveille en sursaut, je descends au plus vite, mes vêtements sur le bras, dans la rue je m'habille: il était temps, c'est un obus qui est tombé sur la maison: je jette un coup d'oeil, la maison est feu. Je passe le reste de la nuit dans une cave, où on me réchauffe avec un bon café.

Nouvelle affectation: à l'intendance.

Le laissez-passer de M.ThiaultLe laissez-passer agrandir

28 Novembre - Je suis appelé par ordre du capitaine d'administration Chamarande à me rendre à l'intendance, il est 9 heures du matin. J'ignore ce qu'il me veut, aussi c'est avec surprise que j'arrive à la caserne de l'Espérance (c'est là que sont situés les bureaux), un factionnaire m'y conduit. Là se trouvent les sous-lieutenants militaires, Spire, et l'officier Comptable Chamarande. Ils me proposent de me détacher de ma compagnie pour rentrer dans l'administration, remplir les fonctions de gardien du parc d'approvisionnement, et me rendre compte si les hommes qui sont employés à soigner le bétail, leur donnent la nourriture exigée etc. Nous avons à cette époque, tant dans la Place qu'aux camps retranchés et dans les fossés des fortifications, environ huit cent têtes de bétail, sans compter 50 vaches laitières installées dans les écuries de la caserne du Pavillon; je dois aussi vérifier les meules des fourrages qui se trouvent dans les parcs d'approvisionnement et voir si les obus Prussiens n'y mettent pas le feu.

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Quoique ce service m'ait paru assez pénible, il faut bien l'accepter. Le sous-intendant militaire me remet une note pour mon capitaine de la 6ème l'instruisant de mon départ de la 6ème.

30 Novembre - Accompagnés par un sous-officier d'administration je visite tous les parcs en question car j'ai à me rendre aussi bien la nuit que le jour je suis muni d'un laisser-passer signé du colonel Denfert, commandant la Place du sous-intendant militaire et du capitaine d'administration, je puis donc circuler librement.

Les obus ennemis tombent drus

1er Décembre - Je me rends sur les glacis du fort de la Justice, les obus ennemis tombent dru à cet endroit, j'aperçois de la fumée dans une meule de foin, c'est probablement un obus qui a mis le feu, avec le concours d'un poste voisin nous éteignons vite ce commencement d'incendie. Tous les soirs je dois rendre compte de ce qui se passe dans la journée. Le lendemain je visite le bétail qui se trouve dans les fossés des fortifications, les pauvres bêtes elles sont dans la boue jusqu'aux jarrets, toute la journée elles pataugent là-dedans. Quelques unes sont couchées et ont peine à se relever; on prend pour la boucherie celles qui se nourrissent le moins bien.

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Je rentre à deux heures par la porte de l'espérance, en passant la passerelle: un obus éclaté à quelques mètres, deux mobiles s'y trouvant engagés sont blessés, l'un à un bras, l'autre a les côtes enfoncées; ontransporte ces hommes à l'hôpital à l'Espérance.

3 Décembre - Aujourd'hui, à 6 heures du matin, je pars visiter le bétail qui se trouve au camp retranché dans des baraquements en planches; un obus prussien éclate aussitôt mon arrivée dans un petit logement où sont rassemblés les sergents majors du 2ème bataillon des Mobiles de la Haute Saône à 50 mètres d'où je me trouve; il y a un peu de neige, j'aperçois des hommes couchés pèle-mêle jetant des cris, le sang rougit la neige, j'accours en même temps que d'autres mobiles: quel spectacle ! Sur 5 sergents majors qui se trouvaient là, deux étaient morts et un autre blessé à une jambe, on a dû lui en faire l'amputation. L'ennemi s'acharne à diriger leur tir de ce côté. Tous les jours il y a des accidents, et je continue mon service ainsi tous les jours parfois la nuit, très souvent les obus mettent le feu aux meules de fourrages.

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La réquisition du bétail.

6 Décembre - Aujourd'hui, en rentrant à l'intendance, je reçois un ordre du capitaine qui m'enjoint de me rendre à Pérouse, localité à 4 km de la Place pour y faire rentrer tout le bétail et fourrage qui s'y trouvent. Je dois m'entendre avec les propriétaires et estimer avec eux les marchandises dont je prends livraison aussitôt convenus. Je leur délivre un bon à souche pour la somme qu'ils auront à toucher s'il y a des récalcitrants. Je dois employer main-forte, le commandant Chapelot du 54ème de ligne qui commande Pérouse devra me fournir les hommes nécessaires à cet effet. J'ai à ma disposition deux voitures à 3 chevaux et 2 hommes pour le transport du foin et de la paille, pour le bétail ce sont des Bousiers qui les ramène en ville. Je rentre tous les soirs à Belfort rendre compte de mes démarches. Dans la journée je suis en subsistance à Pérouse.

8 Décembre - Le 3ème jour à 7 heures du matin, à peine nous avons quitté Belfort, nous sommes derrière le château, je marche à 50 mètres en avant des conducteurs, un obus éclate juste devant la 1ère voiture à 3 mètres seulement. Je m'étais couché, en me relevant j'aperçois les conducteurs de la voiture par terre et les 2 chevaux en même temps, je cours au même moment que l'autre voiturier et nous voyons ce camarade empêtré dans sa voiture, nous le dégageons vivement, il était grièvement blessé. Pour les deux chevaux ils étaient tués net, nous rechargeons le blessé sur une voiture et nous retournons à Belfort, nous le conduisons à l'hôpital. Je rends compte de l'accident. 4 artilleurs viennent avec une prolonge et ramènent les chevaux qui sont tués pour être dirigés sur la boucherie Deux autres voitures et 2 hommes remplacent le premier, et on active le service.

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Mais que de danger, les Prussiens n'arrêtent pas d'envoyer des obus sur le château et comme matin et soir je passe tout derrière il faut se coucher 10 fois pendant chaque traversée. J'en prends l'habitude.

14 Décembre - Aujourd'hui c'est le dernier voyage que je fais à Pérouse. Tout est à peu près enlevé, les Prussiens peuvent venir s'y ravitailler: ils n'y trouveront plus grand-chose. J'ai éprouvé par moments de grandes difficultés pour faire sortir tout le bétail et le fourrage qui se trouvaient dans cette localité; grâce à l'appui du maire, j'y suis parvenu quand-même. Le capitaine d'administration et le sous-lieutenant militaire m'ont félicité et m'annoncent qu'ils me proposent pour la médaille militaire.

Nouvelle affectation: caporal boucher

16 Décembre - Je change encore depuis ce matin de service, me voici caporal boucher (celui que je remplace est condamné pour indélicatesse à la prison), quoique ne connaissant pas grand-chose au métier j'ai avec moi 16 mobiles, tous bouchers ceux-là, et connaissant bien leur métier. Je commence le 18 Décembre. Notre boucherie est installée près de l'abattoir, dans les locaux de l'artillerie, derrière l'hôtel de ville. Comme matériel j'y trouve ce qu'il faut pour accrocher les quartiers de bêtes abattues, une grosse bascule, une autre plus petite, deux caisses de biscuits qui servent de bureau et c'est tout. A la guerre comme à la guerre... La moitié de mes hommes, c'est-à-dire huit, font le service de l'abattoir, sept autres sont employés à la boucherie pour les jours de distributions, et un autre fait la popote pour tous.

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La veille des jours de distribution je passe à l'intendance prendre la note, me détaillant par compagnie toutes les troupes renfermées dans la place, je dois faire une distribution tous les 4 jours, il y en a pour 2 jours. Les deux autres jours on distribue de la viande salée ou des conserves, mais ceci ne me regarde plus. En comptant tous les hommes présents dans chaque compagnie, je trouve l'effectif à servir, soit tant par homme et par compagnie et tant de kilos de viande, à moi d'estimer le poids approximatif et faire abattre le bétail qu'il faut pour chaque distribution. Ce jour-là on commence à 7 heures du matin, sans arrêt jusqu'à 7 heures du soir, ou je finis plus tôt si toutes les compagnies sont servies avant cette heure. Chaque sergent fourrier représentant la compagnie arrive porteur de l'effectif de ses hommes, qui correspond à celle que l'administration me remet. je fais peser le poids exigible, le fourrier signe sur ma feuille, c'est au tour d'un autre et ainsi de suite, quand tout est fini je porte ma feuille au capitaine et c'est tout. Le lendemain je fais abattre des veaux et moutons pour les hôpitaux. Je crois que je finirai par rester dans ce poste-ci, je suis las de changer.

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Noël sous les obus.

20 Décembre - Depuis quelques jours l'ennemi redouble la canonnade; leur tir arrive un peu de partout, les éclats d'obus blessent beaucoup de monde, autant chez les civils que chez les militaires, et font énormément de mal; il y a des quartiers tels que sur la place d'Armes près de l'hôtel de ville, la prison, et aussi en arrivant près de la porte Brisac, c'est par centaines que les obus arrivent sur ces points.

Si seulement les nouvelles du dehors nous arrivaient et que nous sachions ce qui se passe, mais rien n'arrive plus, et la tristesse envahit nos espérances; il fait par-dessus le marché un hiver très rigoureux, le froid et la neige semblent redoubler encore, ce qui ajoute une note plus triste à nos souffrances morales.

24 Décembre - Noël a été un triste réveillon en ce jour, chacun pense un peu à sa famille, mais pour le premier que font-ils ceux que j'ai quittés voilà quatre grands mois, je ne reçois rien et ne peux rien leur envoyer, toute communication étant impossible je maudis pour l'instant les promoteurs des guerres, peut-être que les Prussiens sont installés chez moi. Dissipons un peu tous ces ennuis; pour cela je vais trouver un parent qui habite en ville, il m'offre de dîner avec lui, nous causons des absents et des vicissitudes de la guerre, la soirée se termine ainsi je rentre à minuit, non au son des cloches de matines mais au son du canon.

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L'abattoir bombardé

25 Décembre - De bon matin je reprends le service, c'est jour de distribution, je suis à peine arrivé qu'un obus tombe sur l'abattoir à 20 mètres de la boucherie, et blesse grièvement un homme, et les éclats enlèvent la toiture et il ne reste plus de cheminée et nous avons de la peine à faire du feu, on gèle dans la boite.

3 Janvier 1871 - En prenant la feuille de présence ce soir à l'intendance j'y vois figurer 211 Prussiens faits prisonniers entre Danjoutin et Perche. Encore des bouches à nourrir, on amène en même temps deux chevaux blessés à l'abattoir, je fais débiter la viande un peu dans chaque compagnie, notre situation devient pénible, ici les obus nous ont enlevé ce qui restait de l'abattoir et la porte d'entrée de la boucherie est démolie, il faut que l'on monte la garde la nuit on craint les incendies.

6 Janvier - Nous sommes obligés d'évacuer, la position n'est plus tenable. Deux mobiles sont blessés en venant chercher la viande; l'administration nous fait transporter notre boucherie à la caserne du Pavillon, au pied du château, serons-nous plus en sécurité ? Je l'espère, nous profitons d'un moment d'accalmie pour nous installer, c'est dans les écuries n°1 qu'est la boucherie, l'abattoir se trouve derrière. Toutes sont voûtées, peut-être serons-nous à l'abri des projectiles. Il y a dans ce bâtiment 40 vaches laitières qui fournissent du lait pour les hôpitaux, ce bétail est soigné par 4 mobiles.

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Tout notre personnel se loge tant bien que mal, dans les logements vides; je trouve un grand changement depuis notre nouvelle installation, je suis obligé de faire tous les jours une plus longue course pour aller au rapport à l'Espérance. Aujourd'hui un civil est tué sur la place d'armes au moment où je suis en face de la maison Grosborne, heureusement qu'il y a des abris à distance pour se garer des projectiles.

Carrefour de l'EspéranceBelfort, Avenue de la Laurencie, pris depuis le Carrefour de l'Espérance

Visite à l'hôpital.

8 Janvier - Un mobile du Rhône employé comme bouvier au Pavillon vient d'être tué net par un projectile. Deux hommes et moi nous nous portons à son secours, il est affreusement mutilé, nous le mettons sur un lit où il est gardé jusqu'au soir, d'où on le conduit à l'hôpital de l'Espérance, où d'autres attendent déjà pour être enterrés au cimetière du Vallon le lendemain matin.

11 Janvier - De très bonne heure aujourd'hui je conduis un de mes camarades (caporal comme moi dans l'administration, c'est un lyonnais) à l'infirmerie à l'Espérance: il est sérieusement malade, j'en sors terrifié: un sergent infirmier a bien voulu me conduire dans les salles; dans l'une, ce n'est que blessés de toutes sortes, cela fait peine à voir; nous rentrons dans une autre, ce sont les morts qui attendent là jusqu'au lendemain matin leur transport au cimetière du Vallon. Ils sont couverts avec des couvertures, on les met dans la fosse commune préparée d'avance, on les recouvre de terre et ainsi de suite; pauvres mobiles, ils dorment leur dernier sommeil.

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Un espoir fugace

CarteLa division Cremer agrandir

14 Janvier - Les fortins ne cessent de tirer il doit y avoir une attaque quelque part. Nous sommes sur le qui-vive, je pars à l'Intendance où j'apprends qu'une armée de secours marche sur Belfort, venant depuis Villersexel ou les environs, qu'elle soit la bienvenue. En effet la nouvelle n'est pas fausse, le lendemain j'ai pu voir un grand nombre d'officiers supérieurs sur les glacis des murs d'enceinte, près la porte de France regardant avec leurs longues-vues dans la direction d'Héricourt, où dit-on une armée est aux prises avec l'ennemi. En prêtant l'oreille nous entendons la fusillade des deux côtés, la nuit on aperçoit très bien le feu des batteries qui se croisent dans le lointain cela dure deux jours 16 et 17 janvier le lendemain la canonnade qui retentissait sur la place avait repris de plus belle une avalanche d'obus tombent en ville et sur le château les ricochets nous arrivent et démolissent tout sur leur passage il n'y reste presque plus de toit au dessus de nous heureusement que nous sommes blindés , chacun s'abrite comme il peut sans doute que l'armée de secours est refoulée on n'entend plus rien.

Recensement du bétail

20 Janvier - L'intendance nous fait procéder au recensement du bétail qui se trouve dans la Place. Un lieutenant moi et deux hommes nous allons au camp retranché puis dans les remises à l'Esperance où se trouve le bétail nous trouvons encore tant boeufs que vaches (95), des veaux et moutons (35). Les rations vont être diminuées depuis aujourd'hui le sel ne se délivre plus qu'en très petite quantité, la provision s'épuise.

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Carte postale - L'assaut des PerchesL'assaut des Perches agrandir

23 Janvier lien - Les projectiles prussiens nous arrivent de toute part, cela ressemble à une fusillade, les dégâts sont très importants, les rues sont jonchées de débris de toute sorte, on ne sait plus où mettre les pieds dans certains endroits. L'assaut des Perches a été tenté cette nuit, les Prussiens ont été repoussés laissant de nombreux morts sur le terrain; c'est un échec pour eux, nous entendons la fusillade, il a dû y avoir un fort engagement. De nouveau un obus éclate dans notre caserne, enlevant ce qui reste de la toiture. On nous fait chercher des rails de chemin de fer pour blinder la porte d'entrée de la boucherie, nous recevons en grande partie les ricochets du château, il est 8 heures du soir, une bombe vient de faire explosion sur le bâtiment, du côté opposé où nous habitons

Carte postale - Les PrussiensLes Prussiens agrandir
le feu a pris aussi vite et a brûlé une partie de la nuit. Impossible de l'éteindre, si cela continue encore longtemps il faudra déménager encore un coup, quel désastre;

Des nouvelles inquiétantes

5 Février - Ce matin en passant sur la place d'Armes, j'entends chuchoter devant la mairie, on parle de la capitulation de Paris et d'une suspension d'armes, pour toute la France excepté Belfort... que se passe-t-il à l'intérieur, on est inquiet. Bientôt la nouvelle se confirme, Messieurs Mény, maire de Belfort, et le commandant de la Place invitent la population et ses habitants au calme et à la résistance par des affiches apposées à l'Hôtel de ville. Il semble que les Prussiens profitent de cela pour renforcer leurs tirs, c'est une vraie pluie d'obus et de bombes qui éclatent un peu partout, nuit et jour.

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Restrictions sur la viande

10 Février - Par ordre supérieur, on ne fera plus de distribution de viande fraîche que tous les 5 jours, il en sera de même pour la viande salée: tous les deux jours 1 ou 2 veaux et 1 mouton pour les hôpitaux. Le bétail sur pied est réduit à ce jour après la distribution à 8 boeufs et 2 veaux, mais il nous reste beaucoup de viande salée et autres provisions pour tenir encore longtemps.

Belfort reste à la France

13 Février - Notre travail terminé il est 8 heures du soir, nous nous couchons un camarade de lit et moi tout en devisant sur la situation et en réfléchissant sur ce qu'il va bien advenir car nous sommes convaincus qu'une solution se prépare, lorsque tout-à-coup je n'entends plus le canon, nous écoutons c'est un calme complet, il est onze heures, nous sommes vite debout et bientôt habillés puisque nous nous couchons tel que, et aussi vite dehors: quel spectacle, je ne l'oublierai jamais, c'est un monde fou, une vraie vague humaine dans les rues,presque tous sortent des caves et des sous-sols. Qu'est-ce qu'il y a ? On veut savoir, de tous côtés on court aux renseignements.

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L'arsenal, la prison, l'hôtel de ville (carte postale)L'arsenal, la prison, l'hôtel de ville agrandir

J'arrive devant l'hôtel de ville où la foule est compacte, j'y trouve là quelqu'un qui veut bien me renseigner, j'apprends que le colonel Denfert a reçu à 9 heures du soir une dépêche du gouvernement de Bordeaux, d'avoir à cesser le feu, que la guerre était finie. D'autres dépêches arrivent successivement. Comment finir ce siège, sommes-nous prisonniers ? Belfort reste-t-il à la France ? Chacun veut savoir... Enfin à 8 heures du matin une dernière dépêche nous parvient par les parlementaires où il est dit que toute la garnison sort avec les honneurs de la guerre et que Belfort reste à la France. Ce n'est plus qu'un cri et malgré nos désastres on entend partout vive Denfert, Vive Belfort: on se serre la main, on s'embrasse, c'est du délire, c'est à ce moment qu'on oublie toute la fatigue du siège.

Les provisions ne seront pas pour les Prussiens

Le château (carte postale)Le château à la fin du siège agrandir

15 Février - Le capitaine nous fait abattre tout le bétail qui reste encore et nous en fait faire la distribution de suite, il nous charge encore d'enlever de la manutention les provisions qui sont restées dans les magasins, soit: café, farine, avoine, il y a jusqu'à des sacs vides emportés par ballots de 50 sacs n'ayant jamais servi, nous descendons tout cela dans la cour et les habitants attendent là on leur fait la distribution séance tenante, c'est une joie pour nous de savoir que tout ceci leur profitera car ils sont bien dépourvus, et que les Prussiens s'en brosseront.

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La remise des clés (carte postale)La remise des clés agrandir

Evacuation

17 Février - Les troupes commencent à évacuer la Place. Déjà quelques compagnies sont en route, l'intendance et l'administration quittent Belfort demain à 11 heures, nous formons l'arrière-garde, c'est une cohue dans les rues on ne voit que soldats, mais quelle tenue: les uns en sabot, vautrés en savates et tout déguenillés, c'est vraiment pitoyable.

Une retraite sous les acclamations

La garnison quitte Belfort (carte postale)La garnison quitte Belfort agrandir

18 Février - Ce matin je remets les clés de la boucherie et de l'abattoir au capitaine, j'ai pris soin de distribuer à quelques malheureux qui se trouvaient par là tout ce qu'il restait de viande, lard, peaux, literie, etc. Ils ont tout enlevé, mes chefs me disent que j'ai bien fait. Il est onze heures ½, un colonel prussien arrive avec l'état-major, on leur remet les clefs et nous quittons; nous voici au faubourg de France, à midi sac au dos et fusil sur l'épaule. Les Prussiens sont rangés de chaque côté sur les trottoirs, l'arme au pied; ce n'est pas sans émotion que nous passons au milieu d'eux,

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nous recevons des fenêtres de tous les étages des saluts, les mouchoirs s'agitent aux cris de vive les mobiles, une fois passés les fenêtres se ferment comme par enchantement, on n'entend plus que le pas lourd des Allemands qui font leur entrée en ville. Pauvres Belfortains, je vous plains sincèrement d'avoir à subir l'occupation ennemie après s'être si valeureusement défendus. Je souhaite qu'ils n'y restent pas trop longtemps et que sous peu l'armée française revienne dans vos murs...

Nous voici hors de la ville, nous rejoignons la Colonne que nous devons suivre à Danjoutin. Là nous faisons une petite halte au milieu de la colonne Prussienne, nos regards se portent une dernière fois sur Belfort; nous n'apercevons plus que la Citadelle, nous la saluons une dernière fois, puis nous reprenons la marche pour Trétudans, Châtenois, Nommay, enfin Charmond, où nous passons la nuit.

De Belfort à Grenoble

19 Février - De Charmond à Exincourt (2 km), d'Exincourt à Audincourt, Bonneval (Bondeval ?), Pont-de-Roide (22 km). De Pont-de-Roide à Noirefontaine, St-Hippolyte, Maîche et Francbois (Franbouhans ?) (28 km), de Francbois à Fontenelles le Russey et Morteau (24 km).

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La feuille de routeLa feuille de route agrandir

De Morteau à Remonot, Montbenois, Maison Des Bois et Arçon (21 km), d'Arçon à Pontarlier (6 km), nous restons deux jours à Pontarlier, là seulement nous apprenons que l'on nous dirige sur Grenoble pour y déposer nos armes et tout le matériel que nous conservons depuis Belfort. De Pontarlier à Houtaud, Bule, Dompierre et Frasne (17 km). De Frasne à Censeau et Champagnole (16 km), de Champagnole à Cize, Morillon et St-Laurent (22 km). Jusqu'ici nous avons trouvé les Prussiens et nous avons éprouvé bien des difficultés pour nous loger, non de la part des habitants car ils ne demandaient pas mieux, mais nos adversaires prenaient possession des logements sans s'inquiéter de nous. A partir de ce jour, 2 Mars, nous n'en voyons plus.

2 Mars - A St-Claude, nous séjournons deux jours – 2 et 3 Mars, aussi nous en profitons pour nous distraire un peu. Le 4, de St-claude à Vaux les St-Claude et Dortan (24 km), de Dortan à Oyonnax et Nantua (29 km), de Nantua à Châtillon et Bellegarde (29 km). Nous arrivons à Bellegarde à 5h ½ du soir, nous prenons à cette station le chemin de fer le 7 Mars, à 1h du matin pour Grenoble, en passant par Culoz et Chambéry, où nous nous arrêtons de 5 heures à 7 heures du matin. Arrivés à Grenoble à 11h du matin nous nous dirigeons à Voreppe où toute l'administration est cantonnée. Nous y restons 4 jours et nous revenons à Grenoble. Le 16 on nous fait déposer nos armes à l'arsenal.

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MédailleMédaille commémorative (1911) agrandir

18 Mars - Le 18, à 6 heures du soir, nous voici à Lyon à 11h00. J'y passe la journée du 19, et je reprends la direction de Dijon, où j'arrive le 20 à 8h00 du matin. 21 Mars - Là nous retrouvons les Prussiens, on nous fait attendre jusqu'au 21 à 5 heures du soir pour nous faire monter en wagon découvert, il faut être 40 par wagon, nous sommes tous debout et serrés comme des harengs, on se tient par la main pour ne pas faire la culbute, nous sommes conduits par des mécaniciens allemands et nous arrivons à Gray, d'une seule traite, il y a arrêt d'une ½ heure mais défense de sortir de la gare, en route pour Vesoul où nous arrivons à 10 heures du soir, impossible de trouver à loger, c'est rempli de Prussiens, et ils occupent tous les hôtels après avoir mangé un morceau et bu un verre nous décidons, un camarade et moi, de nous mettre en route à pied à 11h du soir, sac au dos. lien 22 Mars - J'arrive enfin chez moi à 4h du matin, après avoir fait 30 kilomètres (le 22 Mars), où je retrouve ma famille, il y avait exactement 4 mois ½ que je n'avais plus de nouvelles.

Melisey, Mai 1871

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